Le Dio vi salvi Regina
La légende dit que notre hymne le “ Dio Vi Salvi Regina ” aurait été créée (*) à Corscia dans le Niolu, par un berger, Sauveur Costa et chanté pour la première fois le 25 avril 1720 à la chapelle Saint-Marc de ce village.
En fait cette hymne (*) serait attribuée à Adhémar de Monteil évêque du Puy-en Velay au XIème siècle qui composa en latin le Salve Regina cantique dédié à Marie. Quelques siècles plus tard, au XVII ème, San Francesco de Geronimo, jésuite de son état, prêche dans les quartiers pauvres de Naples. Le texte latin ne lui convient pas car il n'est pas compris par le peuple, alors, le père Geronimo l'adapte vers 1676 en italien (qui ne l'était pas encore à l'époque car on parlait le toscan). La version corse actuellement a conservé à peu de chose près cette texture linguistique.
Cette hymne se répandit dans toute la péninsule. Un souffle de vent a donc suffi au Dio pour traverser la mer tyrrhénienne en cette fin du XVII ème et se propager en Corse. On dit, grâce aux pécheurs napolitains qui lançaient leurs filets au large de Bonifacio mais plus probablement par les Franciscains fortement implantés en Corse à l'époque.
Que Sauveur Costa me pardonne ! Mais mais rendons à César ce qui appartient à Cesar.
Pour autant l'histoire du Dio ne s'arrête pas là car les 5 et 6 janvier 1735, lors de la consulte tenue à Corte par les chefs révolutionnaires, qui décida de la séparation de la Corse d’avec Gênes. Dans le texte constitutionnel il est écrit “ le royaume de Corse choisit pour sa protection l’Immaculée Conception de la Vierge Marie. On en célébrera la fête (qui a lieu le 8 décembre) dans tous les villages avec des salves de mousqueterie et de canons ”.
Le profane se demande pourquoi sous la protection de la Vierge Marie ? C'est pourtant fondamental !
A l'époque, dans toute l'Europe règne le pouvoir absolu de la monarchie, les rois et les reines tirent leur légitimité du droit divin, non de la volonté du peuple.
Pour les révolutionnaires corse la révolution corse se justifiait de part l’oppression tyrannique de Gènes qui de ce fait ne pouvait plus se prévaloir de cette légitimité de droit divin comme le démontre A Giustificazione della rivoluzione di Corsica, de l'abbé Don Grégorio Salvini publiée en 1758 à Naples, (celle là même sur laquelle l'assemblée de Corse élue en 2015 a prêté serment le 19 décembre 2015 lors de la séance d'ouverture). Ouvrage qui s'appuie en fait sur la « doctrine tyrannique » de Saint Thomas D'Acquin, philosophe du XIII ème siècle, qui accorde aux peuples le droit de disposer d'eux mêmes, en cas d'oppression du prince qui le gouverne. Cet ouvrage est fondamental car il est consécutif de travaux et aux longues démarches de trois prêtres balanins, outre l'abbé Grégorio Salvini, le chanoine Erasmo Orticoni de de Palmento à Santa Reparata di Balagna et le père Bonfigliolo Guelfucci de Monticellu véritables artisans de la révolution corse. En outre en se mettant sous la protection de la vierge Marie c'était montrer à toute l'Europe que la Corse n'était pas une nation hérétique.
C'est donc naturellement que le “Dio vi Salvi Regina ” s'est imposé comme hymne national corse ainsi que le drapeau à l'effigie de la vierge Marie en 1735 lors de la consulte tenue à Corte. Et réaffirmé ensuite lors de la consolidation de la constitution corse en 1762 avec cependant le choix de la bandera à tête de Maure. Soulignons toutefois qu' aucuns textes constitutionnels ne mentionne le Dio.
Le Dio fût même remis en cause durant le Riacuistu. Certains militants lui préférèrent U Culombu plus guerrier. D'autres Sonate lu Cornu carrément sanguin. Ce n'est que plus tard, dans les années 1980 sous l'impulsion de Canta U Popolu Corsu que le Dio et surtout de Jean Paul Polletti qui en aurait eu la révélation un soir à Bastia en l'entendant chanter dans un bar s'imposa comme hymne de la Corse.
Le Dio vi Salvi Reginu est sans conteste une hymne (*) dédiée à la Vierge Marie vénérée par les Corses - peuple profondément pieu et attaché aux valeurs chrétiennes. Personne ne le nie.
Mais il est aussi un hymne (*) que la Corse s'est donnée lors de son indépendance au XVIII ème siècle (de 6 janvier 1735 au 9 mai1769).
Avec une variante importante toutefois dans la dernière strophe “ nemici vostri ” devient “ nemici nostri ” ce ne sont plus les ennemies de la vierge qui sont invoqués mais « nos » ennemis (ceux du peuple corse). On notera aussi une autre modificatio mineur dans la deuxième strophe “ tribolati ”, au lieu de “ disperati ”.
Ce chant symbolise l'esprit de la révolution corse du siècle des lumières. Dans l' inconscient populaire aujourd'hui il constitue le point d'ancrage sacré à ce passé mémorable.
C'est donc aussi un chant politique. On ne peut le nier également ?
Il n'y pas d'ambivalence, car il caractérise u spirdu corsu, si le Dio a deux sens , l'un religieux et l'autre politique, tel le Dieu Janus romain aux deux visages, les deux aspects du Dio sont inséparables -peut-être antinomiques- mais qui ne font qu'un.
Que serait le Dio aujourd'hui sans ce passé ?
Dialogue imaginaire à Versailles dans les années 1760 entre Louis XV et le Duc de Choiseul ministre de la guerre et de la marine, premier ministre de fait à qui l'on doit le rattachement définitif de la Lorraine à la France... et le rachat de la Corse !
- Sir, il est temps d'agir en Corse car des mécréants veulent s'emparer du pouvoir, et ces troubles troublent nos affaires en méditerranée ...
- Choiseul ! Comme vous y allez, on nous rapporte que ces mécréants font fortes louanges à la Vierge Marie et ne cessent de la glorifier par ce magnifique cantique de Saint François Jérome... votre trouble me trouble : vous y allez fort avec la ferveur de ce peuple !
- Mais Sir il ne s'agit ni de cantique et ni de Saints car ce qui est revendiqué « c'est le droit des peuples à disposer d'eux mêmes» contre le principe de droit divin qui vous fit Roi !
- Fi donc! Envoyez Marboeuf avec nos troupes...
(*) au féminin pour le cantique religieux et au masculin pour la chant patriotique.